ÉDITION SPÉCIALE – JUILLET 2023
Voir grand sans grandir
Pratiquer une agriculture biologique ou écologique sur un hectare ou moins de terre est un pari possible. En faire son revenu principal exige une conviction à toute épreuve dans les bienfaits environnementaux et sociaux de cette pratique. Il faut vouloir changer le monde.
Éliane Vincent
Entre les aléas des tâches quotidiennes soumises aux caprices de dame Nature, ceux de la mise en marché, avec le kiosque à la ferme et les marchés publics, et les défis d’être travailleur autonome avec de lourdes responsabilités, un fermier de famille doit pédaler fort pour garder la flamme.
Cette flamme, c’est la conviction que le monde peut être changé, saison après saison, famille après famille. « Chaque fois que je fais un bilan, les avantages dépassent toujours les inconvénients, soutient Clotilde Paulin, fermière de famille du Jardin À tout vent. Être mon propre patron, produire toute ma bouffe, travailler dehors, être en lien avec ma communauté, faire un travail qui a un sens, être une oasis de beauté, de diversité et de santé dans un monde qui en a tellement besoin, c’est comme ça que je peux continuer à penser qu’il est possible de vivre autrement, de changer vraiment les choses. »
C’est la même chose pour Raphaël Hébert, membre de la coopérative paysanne La Pagaille. Après avoir cru que sa vie serait placée sous le signe de l’art et de l’illustration, quelques expériences de jardinage l’ont convaincu que le vrai sens de sa vie était plutôt dans la terre, dans la nature qui nourrit. La formule coopérative apporte plusieurs avantages : « Le fait d’être un groupe avec des compétences variées, mais des rêves communs, est une solution qui nous convient », souligne Raphaël.
Gagner sa vie
Rêver, c’est bien, mais il faut tout de même gagner sa vie. La permaculture offre plusieurs avantages. Elle permet de créer des agroécosystèmes hautement productifs même sans ajout de pesticides ou d’engrais de synthèse, et presque sans mécanisation. Tout ça évite les dépenses astronomiques que connaissent les agriculteurs conventionnels, poussés à l’endettement éternel par un système qui ne jure que par la croissance.
Les deux agriculteurs se réjouissent aussi que les organismes et le gouvernement prennent conscience de l’importance des petites fermes pour l’occupation du territoire et pour la santé mentale et physique des communautés. Si l’UPA reste toujours résolument orientée vers l’agriculture industrielle, le MAPAQ, la Financière agricole et d’autres organismes comme le RISQ, Le Germoir, la SADC et d’autres soutiennent concrètement d’autres modèles d’agriculture.
Autoportrait de l’équipe de La Pagaille, coopérative paysanne.
Changer le monde
Un des défis qui restent à surmonter pour les fermiers de famille est de faire accepter le concept à davantage de gens. La contrainte des paniers préparés à l’avance, le risque de payer le même prix si la saison est mauvaise, l’obligation d’être disponible chaque semaine pour récupérer son panier en rebutent plusieurs.
La formule demande donc certains assouplissements, mais pour Clotilde et Raphaël, elle reste la solution pour notre monde qui réclame à grands cris de ralentir la cadence. Il reste donc nécessaire de convaincre une partie de la population que l’agriculture de proximité n’est pas un loisir. C’est un métier qui mérite d’être rémunéré à sa juste valeur, et la plus-value des paniers se mesure en solidarité partagée bien plus qu’en argent, surtout en période d’inflation. Convaincre aussi que manger des produits de saison toute l’année est possible et savoureux, et que manger local nous met à l’abri des pressions internationales sur les marchés.
Et surtout, plus de gens devront prendre conscience que la relation qui se tisse entre ceux qui sont unis par les liens de la nourriture partagée est unique. Au terme de la conversation, le constat est unanime : la chaleur humaine est une partie essentielle de la rémunération des fermiers de famille.
Un marché virtuel qui a fait ses preuves dans la MRC de L’Islet
Le territoire de la MRC de L’Islet est desservi par le marché virtuel La Chèvre et le Chou, un OBNL porté par un regroupement de producteurs. Le marché virtuel propose une boutique en ligne qui regroupe 2122 produits locaux de qualité. Ce sont 46 entreprises de la MRC de Montmagny, de la MRC de L’Islet et des environs qui sont actuellement actives sur la plateforme. Les citoyens peuvent s’inscrire gratuitement, sans obligation de commande. Il y a un marché aux deux semaines, et 16 points de chute répartis dans les deux MRC. Plusieurs producteurs locaux possèdent des kiosques ouverts au public pendant la saison estivale, certains même en libre-service. La MRC de L’Islet recommande aux intéressés de consulter le répertoire Racines et Papilles pour en apprendre davantage. (A.D.)
Le marché virtuel La Chèvre et le Chou fait des livraisons toutes les deux semaines.