La santé mentale en agriculture : une situation préoccupante

L’agriculture, pilier essentiel de l’économie québécoise, traverse une crise profonde. Confrontés à une instabilité financière croissante, à des conditions de travail éprouvantes et à un isolement marqué, de nombreux agriculteurs se retrouvent malgré eux dans une détresse psychologique inquiétante.

José Soucy

Selon les plus récentes données, le taux de suicide chez les agriculteurs canadiens atteint 31,4 pour 100 000 personnes, soit près de trois fois celui de la population générale. Ce chiffre alarmant s’explique par une combinaison de facteurs : stress financier, précarité face aux aléas climatiques, surcharge de travail, pressions réglementaires, etc. Loin de se résorber, cette situation s’aggrave d’année en année. « L’UPA de Chaudière-Appalaches a organisé en novembre 2023 une cabane à sucre afin d’amasser des fonds pour l’embauche d’une autre travailleuse de rang. On est bien conscient de la problématique de santé mentale chez nos membres », déclare le président du Syndicat de l’UPA de L’Islet, Steeve Pelletier.
Des finances précaires
Un récent sondage de l’Union des producteurs agricoles (UPA) révèle une détérioration rapide des finances des fermes québécoises. 42 % des exploitations affichent un solde négatif, contre 34 % en 2023, et 52 % peinent à respecter leurs obligations financières. Les jeunes agriculteurs sont les plus vulnérables : 67 % des fermes de la relève risquent de ne pas tenir le coup. L’endettement du secteur, qui a bondi de 123 % depuis 2012, atteint désormais 27,2 milliards de dollars.
L’inflation persistante et l’augmentation des taux d’intérêt menacent aussi sérieusement la viabilité du secteur. Cette situation met non seulement en péril l’agriculture, mais aussi l’ensemble de l’industrie bioalimentaire. « La hausse des taux d’intérêt a considérablement nui à certains membres de la région, surtout ceux de la relève. Je connais même un acériculteur qui a dû vendre une partie de ses entailles pour être en mesure de consolider le reste de ses installations », ajoute M. Pelletier.
Qu’il s’agisse des restrictions aux frontières états-uniennes ou des barrières tarifaires chinoises, les défis s’accumulent et fragilisent un secteur déjà sous pression. L’incertitude économique frappe également de plein fouet le secteur agricole. Dans l’industrie du bœuf, les encans de la semaine ont été annulés, les acheteurs étant dans le flou quant aux nouvelles règles aux douanes. Même constat du côté du sirop d’érable. Malgré une saison exceptionnelle jusqu’à maintenant, l’incertitude plane sur les ventes à venir. Pour les producteurs de porc, la situation est encore plus préoccupante, les tarifs imposés par la Chine ayant anéanti les faibles marges de profit récemment regagnées.
En parallèle, le stress climatique complique encore la donne. Une hausse de l’indice de sécheresse augmente le risque suicidaire de 15 %. À cela s’ajoute une pression liée à la mondialisation, plus précisément la fluctuation des prix, les nouvelles réglementations, ainsi que la concurrence accrue.
Un autre facteur pèse lourdement sur le plan social, qui est le manque de reconnaissance du travail agricole par la population. Alors que les agriculteurs assurent un rôle vital dans l’alimentation du Québec, ils se heurtent souvent à une méconnaissance grandissante de leurs réalités et de leurs défis quotidiens. Cette dévalorisation renforce malheureusement leur isolement et leur sentiment d’abandon. C’est par ailleurs ce qu’affirmait Caroline Pelletier, de la bergerie du même nom, qui est également vice-présidente de l’UPA locale, en soulignant que les consommateurs ne faisaient pas le lien entre ce qu’ils achètent dans les grandes surfaces et l’origine du produit.
Constat
Alors que 11 % des fermes envisagent de fermer dans l’année, la viabilité de l’agriculture québécoise est en jeu. Face à cette problématique, un soutien accru des pouvoirs publics et une reconnaissance des réalités du métier s’imposent pour préserver ceux qui nourrissent la population. Rappelons que ce domaine requiert un investissement d’environ 8 $ pour générer 1 $ de revenu, ce qui représente un ratio bien plus élevé que dans de nombreux autres secteurs économiques. « On ne s’en cachera pas, même si nous sommes des passionnés et que nous sommes de nature positive, la réalité est que présentement, ça ne va pas en s’améliorant », conclut Steeve Pelletier.

Récolte des foins à Saint-Germain au Kamouraska. Photo : Eshko Timiou, Wikipédia