
FERMIER DE FAMILLE
Un métier à vocation particulière
La période pandémique a fait naître un fort désir d’autonomie alimentaire dans toutes les régions du Québec, et le territoire de Kamouraska-L’Islet n’a pas échappé à la vague. De nombreuses microfermes à circuit de distribution très court (paniers ou kiosques à la ferme) ont vu le jour, portées par l’enthousiasme de jeunes entrepreneurs. En 2025, on note un certain essoufflement, et plusieurs fermiers de famille jettent l’éponge.
Éliane Vincent
Le concept de fermier de famille est né en 1996 sous l’impulsion d’Équiterre. Il met en place un partenariat économique entre le consommateur et une entreprise maraîchère. La seconde s’engage à fournir un certain nombre de paniers de légumes au premier, qui accepte de payer d’avance sa part de récolte. Le fermier voit ainsi sa saison « garantie » par la solidarité du consommateur, puisque nul ne peut prévoir si la saison sera généreuse, ou si les paniers seront modestes à cause des aléas inhérents à l’agriculture. Fermier et consommateur deviennent alors des partenaires dans le risque comme dans l’abondance.
Le modèle a connu un réel engouement, contribuant même à un léger rehaussement du nombre de fermes en exploitation au Canada durant les années Covid. Selon Statistique Canada, la proportion des superficies cultivées par de petites fermes au Québec par rapport au total des terres cultivées, toutes exploitations confondues, est passée de 39,8 % en 2011 à 46,7 % en 2020. La microagriculture a eu le vent dans les voiles.
Défis et vocation
La quasi-totalité des fermiers de famille vous le diront : le contact direct avec le client, la fidélité, la chaleur humaine, l’entraide, la sensation unique de « nourrir le monde » sont de grandes sources de gratification pour eux.
Pourtant, cinq ans plus tard, on a pu constater la multiplication des années sabbatiques chez les fermiers de famille du territoire, quand ce ne sont pas carrément des fermetures. Au Kamouraska seulement, cinq d’entre eux ont cessé leurs activités cette année, temporairement ou définitivement. Les raisons invoquées sont l’épuisement dû à une charge de travail trop lourde, la difficulté de tirer un salaire annuel décent de la courte saison maraîchère, la quasi-impossibilité d’embaucher de la main-d’œuvre à cause des revenus limités.
Clotilde Paulin est fermière de famille depuis 15 ans au Kamouraska. Elle-même a pris une sabbatique en 2022, le temps de mettre au monde une petite fille, et de s’interroger sur sa volonté de poursuivre son exigeante carrière. « Après un an, j’ai bien vu que j’aimais trop ça pour arrêter. Je ne peux pas imaginer un autre mode de vie pour moi », affirme Clotilde. Ça ne l’empêche pas de déplorer le fait qu’une solide détermination soit nécessaire. « On parle de vocation, mais est-ce que c’est vraiment normal de ne pas pouvoir connaître la sécurité financière tout en travaillant d’arrache-pied d’une saison à l’autre ? »
L’apparition de travailleurs de rang dans notre région illustre bien selon elle la détresse vécue par tous les agriculteurs, les fermiers de famille comme les autres. L’agricultrice de Saint-Germain songe souvent à la nécessité de repenser le modèle global de l’agriculture québécoise, citant en exemple la création de fiducies pour faciliter l’accès aux terres, ou des fermes maraîchères partenaires de restaurants ou d’auberges. « On pourrait aussi revoir les modèles d’abonnement pour mieux refléter les coûts réels de fonctionnement pour les agriculteurs, suggère Clotilde. On consacre trop d’heures bénévoles à nos entreprises, c’est une grande source de stress. »
Malgré les contraintes, ils sont encore nombreux à voir dans le modèle du fermier de famille, les fermes de petite taille et l’agriculture de proximité une solution aux défis de l’autonomie alimentaire au Québec. L’innovation et l’imagination seront tout de même nécessaires pour que ce métier reçoive sa juste part de reconnaissance, et pour pérenniser sa place dans le paysage agricole.

Le concept de vocation ne devrait pas être une justification à l’appauvrissement des agriculteurs. Zoe Richardson, Unsplash